Les enjeux de la fusion magnétique

 

 

Jean Marc Ané

Association Euratom-CEA

CEA Cadarache

 

 

Introduction

 

Ce n’est que dans les années 20 que l’on a compris l’origine des puissances gigantesques irradiées par les étoiles ; les réactions de fusion nucléaire qui se produisent dans leurs cœurs très chauds et très denses fournissent la lumière qui illumine l’univers depuis plusieurs milliards d’années.

Les recherches pour développer la fusion comme source d’énergie n’ont débuté que dans les années 50. L’effort consenti pour ces recherches est à la mesure des enjeux de la fusion qui fournirait une énergie quasiment illimitée, accessible à tous, sûre et propre. Au cours de cinquante années de recherche les progrès de la fusion ont été constants avec un doublement des performances tous les 22 mois (pour comparaison le nombre de transistors sur un processeur ne double que tous les 24 mois). Ces progrès sont dus à la coordination des recherches au niveau mondial qui dure depuis 1958, ainsi qu’à l’accroissement de la taille des machines qui servent à créer des milieux à très haute température dans lesquels se produisent les réactions de fusion.

Les grandes machines actuelles ont été construites dans les années 80. Si une nouvelle machine n’est pas construite la progression des performances risque de fléchir dans les décennies à venir et la contribution de la fusion à la solution d’une crise énergétique et environnementale risque d’arriver trop tard.

La communauté fusion consciente de la nécessité de maintenir la dynamique s’est mobilisée depuis bientôt vingt ans pour mettre au point un projet sur lequel un consensus mondial perdure. Ce projet, appelé ITER (le chemin en latin) a été initié dans les années 80 par les Etats Unis, l’Europe, le Japon et la Russie. En 2003, la Chine et la Corée les ont rejoint. L’Inde et le  Brésil ont manifesté leur désir de participer à l’aventure.

Le coût de construction d’ITER est de l’ordre de 5 milliards d’euros, étalé sur 10 ans. Le coût d’exploitation, étalé sur 20 ans, sera du même ordre, coûts de démantèlement inclus. Ce projet ne devrait pas entraîner d’augmentation significative du budget mondial de recherche sur la fusion, néanmoins il permettra d’apporter des éléments de réponse à la question de la faisabilité de la fusion et de la taille d’un réacteur. Une brève présentation du fonctionnement d’un réacteur de fusion et de l’état des recherches actuelles permet de resituer les enjeux de la fusion magnétique et la place d’ITER dans le programme de  recherches.

 

 

Température nécessaire à la fusion

 

Deux noyaux d’atomes légers fusionnent pour former un noyau plus lourd s’ils sont  suffisamment "proches" pour que les noyaux interagissent par l’intermédiaire de la force d’interaction forte. Cette force maintient la cohésion des noyaux malgré la répulsion électrostatique entre protons. Le rayon d’action de la force d’interaction forte est de l’ordre de la taille des noyaux (un millième de milliardième de millimètre). Pour amener les noyaux légers à une si faible distance l’un de l’autre il faut vaincre une force de répulsion électrostatique très importante. Il faut donc communiquer aux noyaux légers une très grande vitesse en les chauffant à des températures très élevées.

 

 

 

Figure 1 Température nécessaire aux réactions de fusion : Une force de répulsion électrostatique s’exerce entre les noyaux qui contiennent des protons, de charge positive. L’énergie qu’il faut communiquer aux noyaux pour qu’il puisse se rapprocher à une certaine distance croit comme l’inverse de cette distance. Il faut donc les chauffer à très haute température pour que l’énergie cinétique qu’ils emmagasinent ainsi leur permette d’entrer quasiment au contact. La force d’interaction forte, très intense mais à très courte portée (rayon d’action 10-15 m) s’exerce alors. Cette force qui attire les  protons et neutrons entre eux produit alors la fusion des noyaux.

 

La réaction de fusion la plus facile à réaliser est celle des deux isotopes  de l’hydrogène : le deutérium (D) dont le noyau est constitué d’un proton et d’un neutron et le tritium (T) dont le noyau est constitué d’un proton et de deux neutrons

 

D + T® alpha (20% ) +neutron(80%)

 

 

Figure 2 La réaction de fusion deutérium-tritium : c’est la réaction de fusion la plus ‘’facile’’. L’énergie de la réaction est répartie dans les énergies cinétiques des particules crées en raison inverse de leurs masses (20% pour la particule alpha 80% pour le neutron)

 

 

Les particules créées sont un neutron et une particule alpha (4He dont le noyau contient deux protons et deux neutrons). L’énergie de fusion se retrouve sous forme d’énergie cinétique de ces particules, répartie inversement proportionnellement à leurs masses (80% de l’énergie pour le neutron et les 20% restant pour la particule alpha). Une température de plasma de l’ordre de 150 millions de degrés (dix fois la température du centre du soleil) est nécessaire pour que le taux de réaction soit suffisant pour faire fonctionner un réacteur de fusion. A ces températures les électrons ne sont plus liés aux noyaux, ce mélange de noyaux et d’électrons constitue un plasma.

 

Conditions de fonctionnement d’un réacteur de fusion fonctionnant en continu

 

La puissance de fusion produite dans un réacteur doit être supérieure à la puissance à injecter pour maintenir la température du plasma à 150 millions de degrés. Un gain de l’ordre de 40, correspondant à une puissance de fusion 40 fois plus élevée que la puissance à injecter, garantit un rendement satisfaisant du réacteur compte tenu des divers rendements. La température étant fixée, la puissance de fusion est proportionnelle au carré de la densité du plasma (probabilité de collision). La puissance à injecter est quant à elle proportionnelle à la densité (nombre de particules à chauffer) et inversement proportionnelle au "temps de refroidissement" du plasma qui caractérise la qualité de l’isolation du plasma. La contrainte sur le gain se traduit donc par une contrainte sur le produit de la densité par le "temps de refroidissement". Pour une température de 150 millions de degré on obtient un gain de 40 si le produit de la pression du plasma par son temps de refroidissement est de l’ordre de 5 atmosphère.seconde.

 

 

La fusion magnétique

 

Le plasma est un mélange de noyaux, de charge positive et d’électrons, de charge négative. La fusion magnétique utilise l’action des champs magnétiques sur les particules chargées du plasma pour assurer son isolement par rapport aux parois froides qui l’entoure. Les particules chargées suivent des trajectoires qui s’enroulent en hélice autour du champ magnétique. En créant des configurations où les lignes de champ magnétiques s’inscrivent sur des tores emboîtés (figure 4) il est possible de confiner les particules dans un volume fini. Dans la configuration tokamak qui est celle des machines actuelles les plus performantes et qui sera aussi celle d’ITER, une partie du champ magnétique de confinement est crée par un courant de plusieurs millions d’ampères qu’il  faut maintenir dans le plasma.

Le plasma se comporte comme un gaz et exerce vers l’extérieur une pression cinétique dont la valeur augmente avec la température et la densité. Pour confiner le plasma, cette pression doit être équilibrée par une pression vers l’intérieur. C’est le rôle de la pression magnétique. Afin d’assurer la stabilité du plasma, la pression du plasma ne peut dépasser quelques pour-cent de la pression magnétique. Les contraintes mécaniques limitent à une centaine d’atmosphères la pression magnétique que peuvent créer les aimants La pression du plasma n’est donc que de quelques atmosphères. A 150 millions de degrés un plasma à la pression atmosphérique est cent mille fois moins dense que l’air. Un réacteur qui alimenterait un million de personnes en électricité ne contiendrait que quelques grammes de plasma.

 

 

Figure 3 Champ magnétique d’un tokamak : le champ magnétique tangente en chaque point les lignes de champ bleues. Ce champ est la somme du champ principal créé par les bobines de couleur cyans et d’un champ généré par un courant qui circule dans le plasma. La combinaison des deux champs permet de confiner les particules du plasma dans le volume torique jaune.

 

 

Chauffage du plasma par les particules alpha

 

Les neutrons produit par les réactions de fusion, électriquement neutres, quittent le plasma, très peu dense, sans interagir avec lui. Par contre les particules alpha sont chargées et sont confinées par le champ magnétique. Elles peuvent donc céder leur énergie au plasma. La "température" des alphas créés par la réaction de fusion est de l’ordre de 40 milliards de degrés, leur thermalisation par collisions jusqu’aux 150 millions de degrés du plasma permet d’apporter 20% de la puissance de fusion pour chauffer le plasma. L’apport des alphas permet de minimiser la puissance de chauffage à injecter pour maintenir la température du plasma. Si le temps de refroidissement du plasma est suffisamment grand, la puissance des alphas contribue majoritairement au maintien de la température du plasma. Pour obtenir le gain de 40 nécessaire à un réacteur, le temps de refroidissement du plasma doit être de quelques secondes. Les alphas fournissent alors 90% de la puissance de chauffage du plasma. Pour augmenter le temps de refroidissement d’un plasma il faut intercaler entre le cœur du plasma, à très haute température et les parois ‘’ froides’’ qui l’entoure des couches de plasma de plus en plus froid. Ces couches de plasma sont rendues isolantes par le champ magnétique qui limite les échanges de particules et de chaleur entre les zones chaudes et froides. Les performances d’une machine ( le temps de refroidissement et la pression au centre) dépendront fortement du volume de son plasma (l’épaisseur d’isolant) et de l’intensité de son  champ magnétique (la qualité de l’isolant).

 

 

Où en est-on ?

 

Grâce à ses 80 m3 de plasma le tokamak européen JET détient le record du monde de puissance fusion : en 1997, il a produit 16 MW pendant une seconde dans un plasma de deutérium et de tritium. Cependant 23 MW de chauffage devaient être injectés pour maintenir la température du plasma. Le gain obtenu est proche de 0.7. Pour ce gain la contribution des alphas au chauffage reste marginale, de l’ordre de 10%. Le tokamak japonais JT-60 U dont la taille est proche de celle du JET pourrait produire une puissance du même ordre s’il était possible d’y utiliser du tritium.

Tore Supra est  le tokamak de l’association Euratom-CEA à Cadarache. Le volume de son plasma de ne dépasse pas 25 m3. Ses performances en terme de gain ne peuvent donc être comparées à celles des plus grosses machines. L’objectif principal de Tore Supra est l’étude des plasmas de longue durée. Les tokamaks comme le JET ou JT-60 ne permettent pas de maintenir des plasmas pendant plus de quelques dizaines de secondes. Cette limite est due à  l’échauffement des bobines en cuivre qui créent les champs magnétiques de confinement, à la montée en température des parois face au plasma, et aux limites thermiques des systèmes qui permettent de maintenir le courant dans le plasma. Tore Supra. Grâce à ses bobines supraconductrices, à ses parois  face au plasma capables de fonctionner en continu sous très haut flux de chaleur, Tore Supra a permis de maintenir un plasma à trois fois la température du centre du soleil pendant plus de six minutes. C’est le système de génération du courant plasma par onde radiofréquence qui a imposé l’arrêt au bout des six minutes. Ce système qui n’est pas dimensionné pour fonctionner en continu est en cours de modification et devrait permettre des durées de plasma bien supérieures.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tore Supra

JET

ITER

Vplasma ~ 25 m3

Vplasma ~ 80 m3

Vplasma ~ 840 m3

Gain ~ 0,01

Gain ~ 1

Gain ~ 10

Durée plasma ~ 360s

Durée plasma ~ 20s

Durée plasma ~ 400s

 

                                                          

 

Figure 4 Les performances des tokamaks  dépendent du volume du plasma et de l’intensité du champ magnétique. Les intensités des champs des trois machines étant très proches, leurs performances dépendent donc d’abord de leurs volumes de plasma.

 

 

 ITER : une machine de gain 10 une extrapolation raisonnable et significative ?

 

La progression des performances des machines de fusion au cours des cinquante dernières années doit beaucoup à l’augmentation du volume de plasma. La puissance de fusion croît en effet comme le volume du plasma alors que la puissance à injecter croît comme la surface du plasma, à travers laquelle se produisent les pertes. Plus le volume plasma est important plus le rapport volume / surface et donc le gain sont grands. T3 le tokamak soviétique qui a permis d’atteindre une température de 10 millions de degrés dans les années soixante avait un volume de plasma de 0,28 m3 et un gain de l’ordre de 0,00001 (puissance injectée cent mille fois plus grande que la puissance fusion). JET et JT-60 les tokamaks actuellement les plus performants ont des volumes de plasma proches de 100 m3 et des gains proches de l’unité (puissance injectée égale à la puissance fusion).

 

 

Figure 5 ITER: Grâce à un plasma de plus de 840 m3 ITER devrait permettre de produire une puissance de fusion de 500 MW, dix fois plus que les 50 MW qu’il faudra injecter pour maintenir le plasma à 150 millions de degré. Ces 50 MW ne correspondent qu’au tiers de la puissance de chauffage du plasma, les deux autres tiers proviendront de l’énergie des particules alpha produites par les réactions de fusion.

 

ITER est dimensionné pour pouvoir atteindre un gain de 10, ce qui permet d’obtenir une contribution majoritaire des alphas au chauffage du plasma (66%). Cela permettra d’aborder une physique nouvelle et de tester des stratégies de contrôle du plasma avec une puissance extérieure réduite.

Le gain de 10 que devrait permettre d’atteindre ITER correspond à un volume plasma de 840 m3; le volume de plasma d’un réacteur (gain supérieur à 40) est de l’ordre de 1500 m3. La taille d’ITER apparaît donc comme un bon compromis qui permet d’explorer la physique du réacteur en divisant grosso modo le coût par deux. Le volume du plasma d’ITER est huit fois plus grand que celui des machines actuelles les plus performantes. L’extrapolation est suffisante pour apporter des éléments de réponse à la faisabilité de la fusion et permettre d’affiner le dimensionnement d’un prototype de réacteur. Elle est cependant prudente. Il faut rappeler qu’au moment de la conception de JET, au milieu des années 70, le volume plasma choisi pour JET était cent fois plus important que celui de la machine la plus performante de l’époque : TFR, (volume de plasma inférieur à 1 m3).

 

 

La fusion un problème de contrôle ?

 

La pression au cœur du plasma d’un réacteur de fusion n’est de quelques atmosphères mais la température y est de 150 millions de degrés. Par contre le bord du plasma, au contact de la paroi de la chambre à vide, est relativement froid et à très faible pression (figure 4).

 

 

Figure 6 Un cœur brûlant protégé par des couches de plasma isolant de plus en plus froides : le cœur du plasma (en rouge) est à 150 millions de degrés, le bord (en bleu) au contact de la paroi de la chambre à vide n’est qu’à quelques milliers de degrés.

 

Cette configuration est très loin de l’équilibre, sa tendance naturelle est de tendre vers un état ‘’relaxé’’ où la pression et la température sont uniformes. Les collisions entraînent aussi l’amortissement du courant plasma qu’il faut maintenir pour assurer le confinement. Il s’agit donc d’agir pour lutter contre ces relaxations et assurer un fonctionnement en régime continu du réacteur, les enjeux clés sont :

 

Le contrôle des pertes de chaleur du plasma : comme dans une casserole d’eau sur le gaz, des tourbillons apparaissent dans le plasma qui ont tendance à uniformiser sa température. L’efficacité de ces tourbillons est d’autant plus grande que leur extension spatiale est importante et qu’ils transportent  le plasma chaud du centre plus loin vers  la périphérie froide. L’utilisation d’accélérateurs de particules et de systèmes d’injection d’ondes qui agissent à la fois sur le chauffage, la distribution du courant et  sur les vitesses dans le plasma permet de limiter l’extension de ces tourbillons. Les pertes de chaleur du plasma sont alors limitées et il est possible de maintenir un plasma très chaud et très dense au centre.

 

Figure 7 Dans un plasma de fusion  des micro-instabilités peuvent générer tourbillons qui accroissent le transport de la chaleur du centre chaud vers la périphérie froide du plasma.

 

Le contrôle des particules alpha Il faut confiner les particules alpha produites par les réactions de fusion suffisamment longtemps pour qu’elles puissent se thermaliser et déposer leur énergie le plus au centre possible du plasma pour y accroître la réactivité. Cependant, une fois thermalisés, les alphas, ne doivent pas s’accumuler dans le plasma car ils étoufferaient la réaction en diluant les réactants. Un système de pompage efficace du plasma froid périphérique permet de limiter la densité d’alpha à un niveau raisonnable.

 

Le contrôle du dépôt de puissance sur la paroi de la chambre à vide : 80% de la puissance fusion, emportée par les neutrons, est absorbée dans la couverture qui entoure le plasma et n’est pas "vue" par la paroi. Les 20% restant ainsi que la puissance injectée impactent sur la paroi de la chambre à vide. Comme il est impossible de faire coïncider en tout point la frontière du plasma avec la paroi le dépôt de puissance sur la paroi est très concentré. Dans la pratique on crée une zone capable d’évacuer de très hauts flux ( de l’ordre du flux de chaleur à la surface du soleil) et on fait impacter le flux sous une incidence aussi rasante que possible pour étaler au maximum le dépôt. En injectant des impuretés légères au bord du plasma ont peut y augmenter fortement le rayonnement ce qui permet de déposer une partie de la puissance de manière plus uniforme sur toute la paroi de la chambre à vide.

 

 

Figure 8 Vue de la chambre à vide du tokamak européen JET  à gauche sans plasma, à droite avec plasma. Le dépôt de puissance sur la paroi est concentré dans la partie basse de la chambre à vide qui soumise à des flux importants rayonne fortement. 

 

 

 

‘’Combustibles’’ et ‘’cendres’’ de la fusion

 

Le tritium est radioactif ; sa période assez courte de 12,3 ans fait les 0,2 kg produits annuellement par l’interaction des rayons cosmiques avec la haute atmosphère ne génère qu’un stock de quelques kilos sur terre. Le tritium nécessaire au fonctionnement d’un réacteur de fusion devra donc être produit en utilisant la réaction du neutron créé par la réaction de fusion sur un atome de lithium :

 

n  + 6Li ® T + 4He

 

Combiné avec la réaction de fusion  deutérium-tritium :

 

D +  T  ® 4He + n

n  + 6Li ® T + 4He

le bilan s’écrit:                                    D + 6Li  ® 2 4He

 

Les ‘’combustibles’’ de la fusion deutérium-tritium sont donc le deutérium et le lithium. Les ‘’cendres’’ de la combustion sont constituées d’hélium. L’abondance du deutérium dans l’eau (1atome d’hydrogène sur 6.400 est du deutérium) et du lithium dans le sel de mer (2mg par kilog) permettrait de fournir toute l’énergie de la planète pendant une dizaine de millions d’années. La limite est fixée par le lithium.

 

 

Comment fonctionnerait  un réacteur de fusion ?

 

Le cœur d’un réacteur de fusion qui alimenterait un million de personnes en électricité serait constitué d’un plasma d’approximativement 1.000 m3 ne contenant que quelques grammes d’un mélange de deutérium et de tritium. Ce plasma consommerait approximativement un kilo de mélange  deutérium-tritium par jour et produirait presque la même quantité d’hélium.

Les neutrons produits par les réactions de fusion seraient absorbés par une ’’couverture’’ d’approximativement un mètre cinquante d’épaisseur qui entoure le plasma. Cette ‘’couverture’’ serait alimentée en lithium afin de produire le tritium.

Les neutrons cédant leur énergie aux matériaux de la couverture,  elle doit être refroidie par un fluide qui permet d’en extraire la chaleur. Ce fluide peut être utilisé pour produire de l’électricité grâce à une turbine et un alternateur.

La plupart des neutrons interagiront avec du lithium dans les premiers 30 cm de la couverture. Le reste de l’épaisseur sert à réduire encore le flux de neutrons pour protéger  la chambre à vide et des bobines qui créent le champ magnétique.

Au cours du fonctionnement du réacteur les matériaux de la couverture sont activés par le flux de neutrons. Ils constituent en fin de vie du réacteur les déchets de la fusion. Le choix des matériaux de la couverture permet de garantir que cent ans après l’arrêt du réacteur la radio-toxicité des déchets de la fusion est équivalente à celle des cendres d’une centrale au charbon qui a produit la même énergie.

 

 

Figure 9 Schéma d’un réacteur de fusion Le réacteur est alimenté en deutérium, injecté directement dans le plasma, et en lithium injecté dans la couverture afin d’y réagir avec les neutrons pour produire du tritium qui sera ensuite injecté dans le plasma. L’hélium, produit de la fusion du deutérium et du tritium, est extrait du plasma et récupéré. La puissance de fusion chauffe la couverture. Un fluide circulant dans la couverture permet de récupérer la puissance de fusion pour générer de l’électricité par exemple.

 

 

 

Les défis technologiques de la fusion

 

Les défis technologiques à relever pour mettre au point un réacteur de fusion sont nombreux . Citons la mise au point de matériaux capables de tenir les flux de neutrons très énergétiques produits par les réactions de fusion dans la ‘’couverture’’ qui entoure le plasma. C’est pour qualifier ces matériaux que la projet d’une source de neutrons, appelée IFMIF (International Fusion Materials Irradiation Facility) a été lancé dans les années 80. Le coût total de ce projet est de l’ordre de deux milliards d’euros, dont près de 70% correspondent à la phase d’exploitation, très consommatrice en électricité.

 

En plus de ce flux de neutrons très important, certains matériaux face au plasma subiront un flux de chaleur de l’ordre de celui qui existe à la surface du soleil ainsi que le bombardement de particules provenant du plasma. Les contraintes sur ces matériaux apparaissent encore plus contraignantes que pour ceux de la ‘’couverture’’, néanmoins un système devrait permettre de  les changer assez fréquemment sans trop obérer la disponibilité du réacteur.

 

L’activation des matériaux par les neutrons de fusion imposera le recours à la robotique pour toutes les opérations de maintenance. Ces robots devront pouvoir intervenir sous vide à relativement haute température et éventuellement dans un champ magnétique. Ils devront être capable de manipuler des pièces lourdes avec une grande précision.

 

La nécessité de produire un atome de tritium par neutron de fusion impose un dimensionnement précis de la couverture, l’utilisation de multiplicateurs de neutrons peut être nécessaire pour satisfaire cette contrainte. La physique des neutrons étant relativement bien connue , la modélisation permet de dimensionner les couvertures de manière fiable. ITER permettra de tester six types de couverture différents.

 

Dans un réacteur de fusion il est nécessaire d’utiliser des bobines supraconductrices pour générer en continu les champs magnétiques qui confinent le plasma. L’utilisation de bobines en cuivre consommerait une puissance électrique considérable qui grèverait fortement le rendement du réacteur. Le développement de supraconducteurs à base de niobium-étain qui permettent de générer des champs de très forte intensité pour ITER ( jusqu’à 13 Tesla) a nécessité un programme de recherche développement intense sur une durée de 20ans qui a abouti à la qualification

 

 

Déjà plus d’un milliard d’euros ont été dépensés pour qualifier les différentes solutions ; des maquettes ont été construites par des industriels et testées dans les conditions aussi proches que possible de celles qui prévaudront dans les machines de fusion. Les résultats d’ITER et d’IFMIF devraient permettre de dimensionner DEMO,  un prototype de réacteur de fusion…

 

 

Conclusion

Depuis bientôt presque vingt ans le projet ITER a permis de coordonner les efforts de la communauté mondiale de la fusion pour aboutir à un projet qui recueille un appui quasi unanime. Cet appui est basé sur les résultats d’un programme de physique coordonné mené sur les machines existantes qui a permis de valider les choix faits ou de réduire les incertitudes. Au niveau de la technologie cet appui repose sur la construction et les tests couronnés de succès des sept composants cruciaux de la machine.

Les résultats physiques et techniques obtenus par les machines actuelles les plus performantes sont déjà remarquables :

Le tokamak européen JET en activité depuis 1983  détient le record mondial de puissance fusion produite : 16 millions de watts

Le tokamak japonais JT-60 fonctionne depuis 1985 et a permis d’atteindre un gain record mondial de 1,25.

Le tokamak supraconducteur français Tore Supra fonctionne depuis 1988 et a battu le record mondial de durée en maintenant pendant plus de six minutes un plasma à trois fois la température du centre du soleil.

Ces machines ont toutes bientôt plus de 20 ans… 

 

Les caractéristiques d’ITER en font une extrapolation raisonnable des machines actuelles qui permet d’explorer une physique nouvelle pertinente pour le réacteur avec une marge de sécurité qui semble raisonnable.

A budget fusion mondial quasiment constant la construction d’ITER devrait permettre d’apporter des réponses concernant le dimensionnement d’un réacteur de fusion. Ne pas construire ITER serait un repli frileux qui remettrait en cause le doublement des performances tous les 18 mois enregistré au cours des cinquante dernières années et retarderait la disponibilité de la fusion pour répondre aux défis énergétiques et environnementaux qui se profilent.

 

En effet dans un peu plus d’un siècle l’humanité aura épuisé toutes les énergies fossiles de la planète et dilué dans l’atmosphère tout le carbone accumulé dans ces réserves pendant des dizaines de millions d’années. L’impact irréversible des gaz à effet de serre sur le climat, bien que difficilement prévisible, sera sans doute important, peut être catastrophique. Actuellement plus de 80% de l’énergie mondiale produite est d’origine fossile, un tiers de la population n’a pas accès à l’électricité. Il est urgent d’économiser l’énergie dans les pays riches et de développer de nouvelles sources d’énergie durable pour satisfaire la demande énergétique croissante.

La fusion nucléaire, est une source potentielle d’énergie, dont les principaux atouts sont : des combustibles quasiment inépuisables et accessibles à tous, une production sans pollution ni gaz à effet de serre, des réacteurs sûrs, des déchets radioactifs à durée de vie courte dont la gestion n’incomberait pas aux générations futures.

La taille minimum d’un réacteur de fusion lui permettra d’être compétitif pour alimenter les réseaux de distribution d’électricité dans les zones d’habitat dense, pour produire de l’hydrogène pour les transports et pour distiller l’eau de mer. Ces caractéristiques le rendent complémentaire des énergies renouvelables qui sont plutôt adaptées à des usages moins intensifs et à la fission qui permet de fonctionner avec des unités plus petites et éventuellement mobiles.

Un développement volontaire et accéléré de la fusion lui permettrait de commencer à contribuer dans une cinquantaine d’années à la mitigation de l’épuisement des ressources fossiles et du changement climatique. L’urgence de ces problèmes implique néanmoins que la transition vers des énergies sans impact sur le climat se fasse le plus rapidement possible.

 

La problématique de la fusion magnétique  en général et d’ITER en particulier est complexe, mais elle n’a pas empêché les physiciens des plasmas et les ingénieurs d’avancer régulièrement dans la compréhension des phénomènes et dans la capacité à faire fonctionner des machines de plus en plus performantes. Prédire aujourd’hui qu’il sera impossible de produire de l’énergie à partir de la fusion réveille en écho les déclarations d’Einstein en 1932 et d’Ernest Rutherford en 1933 qui prédisaient qu’imaginer qu’on pourra extraire de l’énergie des atomes n’était que billevesées. Néanmoins Rutherford conseillait sagement, en matière de science, de ne jamais parier à plus de dix contre un…